"La formation des enseignants reste la clé afin de répondre aux enjeux actuels de l’identité et la citoyenneté numérique"

Témoignage

Publié le 11 janvier 2022 par Mission « Innovation publique »

Le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI) est un service du réseau Canopé, chargé de l’éducation aux médias et à l’information dans l’ensemble du système éducatif. Il dispose d’un conseil d’orientation et de perfectionnement et s’appuie sur un réseau de coordonnateurs académiques, placés sous l’autorité des recteurs, sur l’ensemble du territoire national. Il a pour mission la formation des enseignants, la production ou la coproduction de ressources pédagogiques et la promotion d’une pratique citoyenne des médias à l’école, au collège et au lycée ainsi que l’organisation d’actions éducatives.

Rencontre avec Virginie Sassoon, directrice adjointe du Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI).

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Qu’est-ce que le CLEMI, quels sont ses objectifs et ses missions ?

Virginie Sassoon : Nous sommes une organisation publique née au début des années 1980 sous l’impulsion de l’ universitaire Jacques Gonnet. Le centre fonctionne en réseau avec une équipe nationale à Paris et des coordonnateurs académiques en région. Son objectif et ses missions s’adaptent aux mutations du paysage médiatique et aux nouvelles pratiques informationnelles. Parmi ses missions actuelles on retrouve :

  • La formation des enseignants : environ 20 mille professeurs sont formés chaque année à l’éducation aux médias et à l’information,
  • La production et la co-production de ressources pédagogiques pour les enseignants : le CLEMI propose des ressources produites en interne mais également en collaboration avec des médias, des acteurs institutionnels et associatifs.
  • L’accompagnement et le développement à la création de divers médias (journaux papiers, webradio, webtélé, média numérique), au sein des écoles, des collèges et des lycées,
  • L’organisation d’événements faisant le lien entre le monde des médias et le monde de l’école. Le plus connu étant la semaine de la presse et des médias à l’école qui a lieu tous les ans en mars et mobilise près de 4 millions d’élèves.
     

Aujourd’hui de quoi parle-on concrètement lorsque l’on fait référence à l’éducation à l’information ?

V.S. : L’éducation aux médias et à l’information consiste en la transmission de connaissances et de compétences sur le monde médiatique et numérique, qui nous semblent indispensables au 21ème siècle. L’objectif étant de permettre à chacun de construire une citoyenneté, notamment sur le plan numérique. Cette éducation passe par la compréhension de l’univers des médias et du numérique sur le plan théorique, historique mais également par une approche pratique, une pédagogie active. Lors des modules d’éducation aux médias et à l’information, les élèves sont placés en situation d’acteurs pour apprendre à chercher une information, à la vérifier, à savoir l’écrire et ensuite à la publier sur les réseaux sociaux ou sur des médias traditionnels.

Comment faites-vous afin d’intégrer les nouveaux enjeux et usages liés à l’utilisation des différents médias et réseaux sociaux déjà existants ou émergeants ? Quels peuvent être les enjeux liés à ces nouveaux usages ?

V.S. : L’un des objectifs du CLEMI est de comprendre et d’analyser la façon dont les informations sont  partagées et diffusées sur les réseaux sociaux. Il est important de saisir les mutations du paysage médiatique et numérique afin d’intégrer ces nouvelles connaissances aux formations et contenus pédagogiques produits.

Nous avons, par exemple, réalisé un module de formation afin de sensibiliser les enseignants à la façon de réaliser une story informative sur Snapchat. L’objectif étant de montrer de quelle manière il est possible de partager et valoriser des informations à travers ce format.

Nous nous attachons également à prendre en compte tous les enjeux et thématiques liées à la désinformation, la déconstruction des stéréotypes, la liberté d’expression, l’économie des médias ou les datas. Ces problématiques touchent la société dans son ensemble. Plus récemment avec la crise sanitaire, nous avons abordé le sujet de l’infodémie (épidémie de fausses nouvelles) et la façon dont l’information scientifique fait désormais l’objet de toute notre attention.

Quels dispositifs/supports innovants avez-vous mis en place afin de promouvoir l’éducation aux médias et à l’information ?

V.S. : Il existe des brochures classiques que l’on peut trouver sur le site du CLEMI qui sont les fondamentaux de l’éducation aux médias et à l’information. A cela s’ajoute les formations destinées aux enseignants.

Pour donner une représentation de ce que l’on a pu produire et développer en termes de supports innovants on peut citer quelques exemples qui ont pour objectif commun de faciliter la tâche aux enseignants :

  • Déclic’critique : ce sont des séances filmées avec des élèves, chacune des séances s’accompagne d’un kit pédagogique clé en mains. Les séances de formations portent sur des thématiques telles que : la hiérarchie de l’information, la publicité cachée, la vérification de l’information...
  • Classe investigation : est un jeu immersif réalisé par des enseignants, qui ont suivi une formation au préalable, avec leurs élèves. Le principe est de mettre les élèves dans la peau d’un journaliste. Il y a trois scénarios différents : Alerte au zoo, explosion à l’usine, le procès de Bobigny.  Les élèves disposent de différentes sources, ils doivent recouper, hiérarchiser et traiter l’information. Cela leur permet de comprendre la manière dont l’information est fabriquée.
  • CLEMI Face Cam : est un dispositif documentaire vidéo qui valorise des témoignages d’élèves et d’enseignants qui participent à des médias scolaires. L’objectif est de mettre en valeur les compétences développées par la pratique des médias scolaires, on pense par exemple à l’amélioration de l’oralité point important pour les oraux du baccalauréat.
  • La semaine de la presse et des médias à l’école : est une période d’un mois qui se déroule chaque année en mars pendant laquelle les élèves, les enseignants et les journalistes peuvent se retrouver autour d’ateliers, de sorties, de temps d’échanges. Ces dernières années ont été celles de la mise à profit des outils numériques, chacun ayant innové pour permettre la réalisation de cette semaine de la presse et des médias à l’école au format hybride.
  • Médiatiks : Ce concours récompense les médias scolaires à la fois sur le plan académique et sur le plan national. Le site du CLEMI propose une carte qui recense près de 1800 journaux, webradios, webtv dans les établissements scolaires.
  • Zéro Cliché : Le concours Zéro Cliché invite les écoliers, les collégiens et  les lycéens à déconstruire les stéréotypes sexistes à travers des productions médiatiques. Ce dispositif permet de développer une analyse critique sur les médias et sur la société dans son ensemble sur le thème de l’égalité filles-garçons.
     

Quels sont les différents publics visés et comment parvenez-vous à les toucher ?

V.S. : Nos publics traditionnels et prioritaires sont les enseignants et à travers eux les élèves.  Mais depuis cinq ans nous ouvrons l’offre de nos ressources aux familles et aux parents.  A travers l’univers de la Famille tout écran nous proposons un guide pratique de conseils, une bande-dessinée pour les ados et pré-ados et une série télé financée par la Caisse Nationale des Allocations Familiales et diffusée sur les antennes de France Télévisions.

L’éducation aux médias et à l’information, s’appuie aussi sur une dynamique de co-éducation, en effet le premier accès aux médias a lieu au sein du cercle familial. Il y a donc un enjeu d’égalité sociale, l’objectif du CLEMI est d’encourager la continuité éducative, faire le lien, sensibiliser et accompagner les familles (à travers divers partenariats comme ceux crées avec le ministère de la Culture ou la CNAF).

On parle aujourd’hui beaucoup des problématiques liées au fake news ? Quels sont les autres enjeux majeurs liés à la prépondérance des médias et des réseaux sociaux dans la vie des citoyens ?

V.S. : On parle aujourd’hui beaucoup des enjeux de désinformation et de mésinformation. Il est important d’essayer de comprendre pourquoi les infox sont partagées et les risques pour notre démocratie. Notre priorité est avant tout d’apprendre aux citoyens à s’informer, il est important de savoir reconnaître l’information et d’évaluer sa qualité.

En ce qui concerne les réseaux sociaux, il faut aussi prendre en compte le fait que ce sont des espaces de conversation et de sociabilité. L’utilisateur est donc directement en contact avec des informations non demandées, ces informations sont parfois différentes de celles construites par les médias professionnels. Il s’agit donc, pour chaque utilisateur, d’appréhender correctement les informations liées à ses pratiques numériques.

Au vue des tendances actuelles en termes d’utilisation de la donnée, d’identité numérique et données personnelles quelles sont, selon vous, les prochains défis majeurs en termes d’éducation à l’information ?  Le CLEMI envisage-t-il une réflexion prospective à ce sujet ? 

V.S. : Finalement, la formation des enseignants, notamment dans le premier degré, reste la clé afin de répondre aux enjeux actuels de l’identité et la citoyenneté numérique. On observe une chose assez significative, comme le montre l’étude de l’UNAF-OPEN, c’est que le niveau d’équipement des jeunes enfants est passé sous le seuil de l’âge de 10 ans, c’est-à-dire que dès 9-10 ans les enfants ont leur premier smartphone leur permettant un accès à l’information, à des images et à des contenus potentiellement inappropriés alors qu’ils ne sont pas forcément outillés pour s’aventurer dans cet environnement.

La sensibilisation des familles et le développement d’une éducation aux médias et à l’information pour tous, tout au long de la vie, représentent également un enjeu crucial.