[Interview] L'impact du travail en mode mixte sur le rôle des managers dans la fonction publique
Publié le 16 février 2022 par Mission « Innovation publique »
La crise sanitaire a massivement imposé le travail en mode hybride. Mais quel est l’impact sur le rôle des managers dans la fonction publique ? Hélène Boissin-Jonville, directrice de projets à la Direction interministérielle de la Transformation publique (DITP) présente les défis que les managers publics devront relever dans les prochaines années et esquisse des pistes de solutions à envisager.

Quels sont les impacts du travail en mode hybride pour les managers ?
Hélène Boissin-Jonville : « La montée en puissance du travail en mode mixte dans l’administration a un impact fort sur le rôle des managers : le travail en mode hybride a replacé le manager au cœur de la chaîne d’activité. Il est un des éléments de l’efficacité et de la soutenabilité du travail en mode mixte, en tant que responsable du pilotage de l’activité, mais surtout de l’animation du collectif et en tant que « courroie de transmission » entre l’organisation et les individus (transmettre et décliner la vision stratégique, développer le sentiment d’appartenance, diffuser la culture de l’administration). Cela invite à lui redonner les moyens - pas uniquement financiers ou humains, mais aussi de marges de manœuvre, de prise d’initiative par exemple - pour agir concrètement.
On assiste aussi à un changement de paradigme dans la posture managériale, qui doit évoluer d’une logique de contrôle à une logique de confiance a priori et réciproque, construite avec ses collaborateurs. Cette relation de confiance doit être rendue possible par un fonctionnement et des processus renouvelés ; il ne s’agit pas d’une « confiance aveugle », mais d’une confiance construite, tangible. Une des pistes opérationnelles consiste à mettre en place un management par objectifs plutôt qu’à la tâche, un mode de fonctionnement plus soutenable à distance, qui n’exclut nullement le suivi de l’activité mais invite à le repenser. »
Pour accompagner ces changements, quels sont les principaux défis managériaux que la fonction publique devra relever pour les prochaines années ?
H.B-J : « C’est aujourd’hui, pour nous, dans cette nouvelle organisation du travail que se trouvent les deux plus forts enjeux qui attendent les managers.
Premièrement, les managers doivent porter une attention renforcée, renouvelée à l’animation du collectif de l’équipe. Si le télétravail a tendance à accroître la productivité individuelle, lorsqu’il est pratiqué de manière extensive comme en temps de crise ou mal organisé, il risque d’abaisser la productivité collective. Il peut notamment y avoir un effet négatif sur la créativité, par exemple. Pour autant, le collectif demeure un facteur clé de la performance des organisations, il appartient donc au manager d’y être particulièrement attentif. Cela invite à questionner, penser les modes de communication et d’interaction au sein des équipes : quelles modalités de partage de l’information maintenant que l’échange physique verbal est moins systématique ? Quelles modalités de communication au sein de l’équipe : quel est le meilleur outil / canal, pour quel message, à qui ? Quels nouveaux rituels, formels ou informels, imaginer ? Alors qu’au bureau, chacun avait ses habitudes, se croisait naturellement, quand les membres d’une équipe ne sont plus toujours au même endroit en même temps, ces rituels doivent être organisés, anticipés.
Le deuxième défi se joue dans la construction de la relation mutuelle de confiance entre les agents et les encadrants. La relation de confiance entre un manager et son équipe est fondamentale pour des interactions efficaces et apaisées, mais elle est aussi primordiale pour la qualité du travail individuel et la performance collective, notamment car elle renforce l’engagement de l’équipe : de la confiance découle la reconnaissance, le soutien, facteurs clés de l’engagement. Confiance, engagement, performance collective, qualité du travail individuel sont donc étroitement liés. Construire cette relation de confiance dans les relations de travail est indispensable pour s’engager dans les projets, surmonter les difficultés, s’entraider, se soutenir, donc pour travailler ensemble de façon apaisée. »
Concrètement, pour répondre à ces défis autour de l’animation du collectif et de la relation de confiance, quelles pistes envisager ?
H.B-J : « Voici quelques pistes pour établir et entretenir le lien de confiance réciproque : faire preuve d’attention sociale, c’est-à-dire être à l’écoute véritablement des agents, sonder leurs difficultés, faire preuve de compréhension, de soutien (cela vaut d’ailleurs aussi pour les agents) ; instaurer des temps où les membres de l’équipe apprennent à se connaître, où ils partagent et construisent une expérience commune ; verbaliser sa confiance en l’autre, ce qui peut avoir un impact positif sur la conviction de l’individu en ses probabilités de réussite ; ou encore, témoigner son soutien, aider à la recherche de solutions, suggérer des conseils.
Ce sont des défis qui sont encore largement devant nous, que la crise sanitaire a révélé avec prégnance, mais qui transforment en réalité la fonction managériale bien au-delà du temps de crise. Ils ne pourront être traités que dans le temps long, avec des transformations profondes de la culture des organisations et des modes de fonctionnement, mais bien plus encore avec l’apport central d’un accompagnement humain particulièrement renforcé. »