Comment encourager la présence à l’audience des locataires menacés d’expulsion ? L’apport des sciences comportementales

Publié le 26 janvier 2023 par Equipe Sciences comportementales

Face à un fort taux d'absence des locataires menacés d’expulsion à l’audience judiciaire, la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) a fait appel à la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Objectif : identifier les principaux freins à la présence à l'audience judiciaire des locataires, leur présence augmentant considérablement leurs chances d’obtenir une solution favorable.

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Rapport de diagnostic - Encourager la présence à l'audience des locataires menacés d'expulsion

PDF (2 189.6 Ko) - Dernière mise à jour le 8 février 2023

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La présence à l'audience : un enjeu d'accès à la justice et de protection sociale

Pour limiter les expulsions locatives, le Gouvernement a souhaité mettre l'accent sur les dispositifs de prévention en amont de la décision de justice afin d’optimiser les chances que l'audience judiciaire permette de trouver une solution favorable au bailleur et au locataire.

La procédure d'expulsion locative est marquée par une audience judiciaire au contradictoire, pendant laquelle un juge entend, au même titre, locataire et bailleur. Sur la base des informations dont il dispose, le magistrat prononce, ou non, la résiliation du bail et peut décider de certaines mesures, tels qu'un échéancier pour apurer la dette ou des délais pour quitter les lieux.

La présence à cette audience est donc essentielle pour que les locataires puissent faire entendre leur situation et représente un enjeu d'accès à la justice et d'équité dans une démarche contradictoire. Or, les audiences sont marquées par un fort taux d'absence des locataires.

38

Seulement 38 % des décisions d'expulsion locative sont rendues en présence des locataires ou de leurs représentants légaux. Pourtant, en étant absent ou non représenté à l’audience, le locataire voit divisé par deux le pourcentage de chances d’obtenir une décision aménagée.

Une étude de l'Agence Départementale de l’information sur le Logement (ADIL) de l’Oise a récemment démontré qu’en étant absent à l’audience, le locataire voyait divisé par deux le pourcentage de chances d’obtenir une décision d’expulsion conditionnelle.

C'est dans ce contexte que la Dihal a fait appel à l’équipe Sciences comportementales de la DITP afin d'identifier les principaux freins à la présence à l'audience des locataires assignés.

Se présenter à l'audience est un comportement dont les déterminants relèvent de facteurs psychologiques (quelle motivation pour me présenter ?), sociaux (Que font les autres dans ce genre de situation? Que va-t-on penser de moi ?), mais aussi structurels (Ai-je, par exemple, les moyens, y compris de transport, pour m'y rendre ?). Une approche comportementale permet de faire un état des lieux de ces différents freins et de proposer des leviers d’action correspondants. »

Camille Rozier, chef de projet sciences comportementales à la DITP

3 catégories de freins à la présence des locataires à l’audience judiciaire

Après une enquête de terrain auprès des acteurs de la prévention des expulsions locatives et des locataires dont l’audience était passée ou à venir, ainsi que des immersions au tribunal judiciaire de Paris et au sein d’un espace d’insertion, le rapport de diagnostic recense 3 catégories de freins psychologiques, sociaux et structurels auxquels font face les locataires concernés :

  1. des difficultés « pratiques » pour se rendre à l'audience (difficultés de transport et autres difficultés logistiques) ;
  2. une méconnaissance de la procédure et en particulier de l'importance de l'audience  ;
  3. une perception négative et biaisée de la justice  (peur de la justice, de la confrontation avec le bailleur ou mauvaises expériences personnelles du tribunal…).

A ces freins s’ajoutent les difficultés auxquelles font face les professionnels de la prévention (difficultés de contacts avec les locataires, besoins en formations adaptées) qui amoindrissent leur potentiel d’action. Or, l’accompagnement de ces professionnels représente le levier d'action le plus efficace pour encourager la présence des locataires à l'audience.

Les pistes d’intervention à destination des locataires et professionnels  à développer et à tester

Cette première phase de diagnostic a permis d’identifier des leviers potentiels d’action. Ils se déclinent en deux catégories : une première catégorie d’interventions vise à améliorer la communication auprès des locataires, la seconde a pour objectif de mieux former et outiller les professionnels de la prévention (intervenants sociaux et juridiques).

  • S'appuyer sur d'autres canaux de communication pour transmettre les informations à des moments clés en s’appuyant, par exemple, sur des CAF partenaires qui pourraient envoyer des SMS à leurs allocataires ;
  • Simplifier les actes d'huissier, notamment l'assignation. L’impact potentiel d’une telle mesure est élevé. Dans une étude réalisée en Nouvelle-Zélande, la simplification d'un avis de mise en liberté provisoire, pour rendre les informations plus saillantes, a conduit à une augmentation de la présence à l'audience des assignés (BIT, 2014).
  • Modifier les courriers envoyés aux locataires, par exemple le courrier distribué avec l'assignation, afin de rendre l'information plus saillante et incitative pour le locataire et de la rendre plus accessible.
  • Mobiliser et outiller les commissaires de justice pour sensibiliser les locataires à un moment opportun et s'appuyer sur un messager potentiellement influent pour les locataires.
  • Créer un nouveau support de communication sur l'audience ainsi qu’un guide de préparation à l'audience court et facile à comprendre, pour permettre aux locataires de se préparer, de s'organiser et planifier leur présence.
  • Développer une formation pour les professionnels et créer un « kit » de préparation à l'audience pour accroître le niveau de compétence réelle des professionnels sur l'audience, leur sentiment d'auto-efficacité et améliorer indirectement les connaissances des locataires.

 

Les prochaines étapes

La Dihal a choisi dans un premier temps de revoir le courrier envoyé avec l’assignation et d’y inclure une vidéo pédagogique de sensibilisation et préparation à l’audience. Ces deux supports ont vocation à être expérimentés.